AIDE À MOURIR : TOUT RESTE A DEFINIR
Au terme d’un processus multiforme de réflexion-concertation (rapports parlementaires, convention citoyenne, auditions, avis des églises, des cercles philosophiques, du Comité national d’éthique, des associations, de l’Ordre national des médecins, de l’Académie de médecine…), et après passage devant le Conseil d’Etat, un projet de loi « relatif à l’accompagnement des malades et de la fin de vie » a été adopté, le 10 avril, en Conseil des Ministres.
Une commission spéciale de 70 députés va être constituée et le texte débutera, le 27 mai, un parcours parlementaire de plusieurs mois, sans recours à la procédure d’urgence pour précisément donner du temps au législateur sur un sujet sociétal particulièrement sensible et clivant.
Articulé autour de 3 volets (soins d’accompagnement, droits des patients et des soignants, aide à mourir), le projet de loi amorce en réalité un énorme chantier truffé, au-delà des intentions-incantations affichées, des questionnements tout autant médicaux qu’éthiques et juridiques.
« Des conditions cumulatives »
Le cadre d’éligibilité serait fixé : volonté exprimée de manière libre et éclairée, patient majeur doté d’un
discernement non altéré, maladie incurable, pronostic vital engagé à court ou moyen terme, souffrance physique
ou psychique réfractaire ou insupportable. Un délai de 15 jours sera donné au corps médical pour prendre sa
décision ; en cas de refus le Tribunal administratif pourra être saisi par le patient.
A la sédation profonde et continue de la loi Claeys-Leonetti de 2016 se substituerait l’ouverture à la voie au suicide assisté avec exception d’euthanasie par administration d’une substance létale par la personne elle-même ou par un médecin, un infirmier ou une personne volontaire désignée par l’intéressé.
« Une myriade de questionnements »
Les mises en œuvre vont s’avérer complexes. A preuve : l’appréciation du pronostic vital « à moyen terme », la
prise en compte du rythme d’évolution de la maladie, les contours du mal incurable comme du degré des
souffrances a fortiori psychiques, le traitement spécifique des cas de maladies neurodégénératives ou des
maladies psychiatriques, la collégialité ou non dans la décision médicale, l’exercice de la clause de conscience du
corps médical tout comme du juge administratif saisi en appel « pour accéder à la demande de donner la mort « ,
vocation des Comités d’éthique des établissements de soins comme des maisons d’accompagnement, adaptation
du serment d’Hippocrate comme du code pénal sur l’homicide. Autant d’interrogations à résoudre pour le
médecin, le juriste et le spécialiste d’éthique médicale tandis que le législateur, de son côté, à juste titre d’une
main tremblante, dans les pas de Rousseau et de Montesquieu , reçoit mission de confectionner une loi générale
et absolue alors même que chaque cas médical requiert, en conscience, et dans la confiance, un traitement dans
l’absolu raisonnablement propre.
Au bout du processus législatif, vraisemblablement en fin d’année 2024, le Conseil Constitutionnel aura à se prononcer sur la conformité au bloc de constitutionnalité du texte. On peut parier qu’en particulier sur la notion de dignité de la personne humaine - comme il le fait régulièrement à propos des lois de bioéthique -, sur le principe d’autonomie, sur les modalités de l’exercice de la clause de conscience du médecin comme du juge, sur le principe d’égalité à l’accès aux soins palliatifs comme plus globalement sur l’éthique du soignant, son éclairage sera majeur.
Dans ce dossier, appel à responsabilisation de chacun, du citoyen-patient, aux soignants comme aux aidants ; appel au droit également pour être phare et digue.