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Fabrice Luchini et Alain Finkielkraut cheminent ensemble dans l’œuvre de Victor Hugo, de ses poèmes du désespoir à la lumière retrouvée.
Alain Finkielkraut reçoit le comédien Fabrice Luchini qui lit Victor Hugo, à guichet fermé actuellement au théâtre des Mathurins. Souvent présenté comme le chantre de l’optimisme, aussi bien politique qu’existentiel, le grand penseur et poète qu’est Victor Hugo n’est pourtant pas si facilement catégorisable. Dans le spectacle qu’il lui consacre, Fabrice Luchini a choisi d’entrer dans son œuvre immense par la porte de la mélancolie. La conversation animée que consacrent Alain Finkielkraut et Fabrice Luchini à l’œuvre, la vie et la postérité de Victor Hugo chemine ainsi des ombres à la lumière, du désespoir à la consolation.
Les chants désespérés
Fabrice Luchini raconte : “Le 4 septembre 1843, la fille de Victor Hugo, Léopoldine, meurt à 19 ans. Son bateau de plaisance chavire, et elle meurt à Villequier avec l’homme qu’elle avait épousé quelques jours auparavant. À ce moment-là, Hugo est à Rochefort. Imaginez sa culpabilité ; lui est avec Juliette Drouet. Ils boivent un verre de bière en lisant les journaux, car la diligence qui doit les emmener à La Rochelle ne part qu’à six heures. Juliette Drouet a à peine le temps de regarder les titres, et Hugo lui dit ‘Voilà qui est horrible’. Il voit dans le journal ‘La fille du grand poète vient de mourir’ etc…"
Dès lors, Hugo est inconsolable, éperdu de chagrin, rongé par la culpabilité et incapable d’intégrer l’absence de sa fille. Les poèmes qui expriment son désespoir sont d’une beauté déchirante. Le poème Veni, Vidi, Vixi, par lequel s’ouvre le spectacle de Fabrice Luchini, en témoigne. “La modification de la célèbre formule de César est infime, mais décisive ; ce n’est plus l’impérial “Je suis venu, j’ai vu, j’ai vaincu”, mais c’est “Je suis venu, j’ai vu, j’ai vécu” de la simple humanité” souligne Alain Finkielkraut. Fabrice Luchini, citant les vers du poème Oh ! Je fus comme un fou…,affirme qu’au moment du deuil, dans l’obscurité du chagrin, le poète nous “tend un miroir”. Il ajoute : “Dans sa mégalomanie humble, il pense que nous sommes lui”, rappelant au passage l’illustre préface des Contemplations “Nul de nous n’a l’honneur d’avoir une vie qui soit à lui. Ma vie est la vôtre, votre vie est la mienne, vous vivez ce que je vis ; la destinée est une. Prenez donc ce miroir, et regardez-vous-y”.
Le dialogue avec les esprits
“Je dis que le tombeau qui sur les morts se ferme / Ouvre le firmament” ainsi se console Victor Hugo dans “A Villequier”. Pourtant, selon Alain Finkielkraut, “l’inquiétude se niche au cœur même de la consolation”, et la mènera à pratiquer ardemment le spiritisme. Fabrice Luchini relate : “Quand Delphine de Girardin a débarqué à Jersey, où Hugo était en exil, elle était nourrie de spiritisme, qui avait envahi les États-Unis avant d’envahir l’Angleterre et la France. Il a d’abord détesté ça, mais elle lui a proposé de communiquer avec Léopoldine et c’est ainsi qu’elle l’a convaincu. Pendant deux ans, Hugo a fait des séances spirites avec Hannibal, Dante, avec Caïn, Shakespeare, Luther, Sappho, Chénier, Alexandre le Grand, Molière, Jésus, Platon et Galilée…”
La révélation érotique
Dans “Booz endormi”, poème pour lequel Gustave Flaubert “aurait donné tout Madame Bovary” rappelle Fabrice Luchini, Victor Hugo emprunte au récit biblique pour décrire la résurgence du désir. Booz, vieil homme, se surprend à rêver de la jeune Ruth, une étrangère qu’il laisse glaner dans ses champs. Plus que le récit de la naissance d’Israël - Ruth et Booz ayant comme illustres descendants le Roi David et Jésus - il s’agit là selon Fabrice Lucchini d’un éloge du désir et un rappel de ce que fût la “vitalité sexuelle” du poète.
Face au public, prenant le temps de lire ce long poème dans son intégralité, il constate la “qualité de silence” qu’impose un tel chef-d’œuvre.
Bibliographie de l’émission :
Poèmes cités et commentés, extraits des Contemplations :
- “Veni, Vidi, Vixi”
- “Demain dès l’aube…”
- “Oh ! je fus comme fou…”
- “A Villequier”
- “J’aime l’araignée et j’aime l’ortie”
Poèmes cités et commentés, extraits de La Légende des siècles :
- “Le Crapaud”
- “Booz endormi”