Edouard Philippe
Des lieux qui disent
Aimer, les cimetières, aimer les découvrir et s’y perdre, apprécier la compagnie des morts, leur parler parfois et essayer de les entendre peut paraître morbide ou malsain. C’est tout l’inverse, pour autant qu’on n’envisage pas la mort comme une ennemie dont il faudrait se défier. C’est aimer les lieux verts et calmes dans les espaces urbains.
C’est imaginer à partir de noms, de dates, de marbres sobres, de grandiloquences sculptées ou de dénuement complet la vie d’inconnus qui, l’espace d’un instant, suscitent à nouveau la curiosité des vivants. C’est être ému dans les cimetières militaires, à Colleville-sur-Mer ou à Villers-Bretonneux, par des alignement de pierres tombales identiques, simples et calmes qui égrènent la mort brutale d’hommes trop jeunes. C’est être remué par l’enchevêtrement du vieux cimetière juif de Prague, dans lequel les pierres semblent pousser de terre pour rappeler une histoire terrible. C’est partager, sur les hauteurs de Villequier, depuis le cimetière qui encercle l’église et qui domine la Seine, la douleur de Victor Hugo sur les tombes de ses filles et de sa femme et méditer, en récitant ses mots, sur l’amour que l’on porte à ses propres enfants.
C’est être bercé par le silence de la montagne surplombant le petit cimetière de Mayres-Savel, en Isère, ou fasciné par le foisonnement du Père-Lachaise à Paris. C’est aimer les gazons collectifs des cimetières américains et lever les yeux sur les empilements verticaux des cimetières italiens. C’est chercher le fameux pin parasol que Georges Brassens réclamait dans sa Supplique pour être enterré à la plage de Sète et constater que c’est à un cyprès qu’il revient de prémunir contre l’insolation les bons amis venus faire sur la concession du poète d’affectueuses révérences.
C’est se demander où, le moment venu, on voudrait inviter les autres à passer.