Jean de LA FONTAINE (1621-1695)
Les Amours de Psyché - Éloge de la Volupté
Ô douce Volupté, sans qui, dès notre enfance, Le vivre et le mourir nous deviendraient égaux ; Aimant universel de tous les animaux, Que tu sais attirer avecque violence ! Par toi tout se meut ici-bas. C’est pour toi, c’est pour tes appâts, Que nous courons après la peine : Il n’est soldat, ni capitaine, Ni ministre d’État, ni prince, ni sujet, Qui ne t’ait pour unique objet. Nous autres nourrissons, si pour fruit de nos veilles Un bruit délicieux ne charmait nos oreilles, Si nous ne nous sentions chatouillés de ce son, Ferions-nous un mot de chanson ? Ce qu’on appelle gloire en termes magnifiques, Ce qui servait de prix dans les jeux olympiques, N’est que toi proprement, divine Volupté. Et le plaisir des sens n’est-il de rien compté ? Pour quoi sont faits les dons de Flore, Le Soleil couchant et l’Aurore, Pomone et ses mets délicats, Bacchus, l’âme des bons repas, Les forêts, les eaux, les prairies, Mères des douces rêveries ? Pour quoi tant de beaux arts, qui tous sont tes enfants ? Mais pour quoi les Chloris aux appâts triomphants, Que pour maintenir ton commerce ? J’entends innocemment : sur son propre désir Quelque rigueur que l’on exerce, Encore y prend-on du plaisir. Volupté, Volupté, qui fus jadis maîtresse Du plus bel esprit de la Grèce, Ne me dédaigne pas, viens-t’en loger chez moi ; Tu n’y seras pas sans emploi. J’aime le jeu, l’amour, les livres, la musique, La ville et la campagne, enfin tout ; il n’est rien Qui ne me soit souverain bien, Jusqu’au sombre plaisir d’un coeur mélancolique. Viens donc ; et de ce bien, ô douce Volupté, Veux-tu savoir au vrai la mesure certaine ? Il m’en faut tout au moins un siècle bien compté ; Car trente ans, ce n’est pas la peine.